UNIVERSITÉ PARIS 1 - TPTI - PROMO XII FIRMITAS
CODIFICATION ET SAVOIR-FAIRE
dans la Charpenterie de marine
Clarifier une pratique technique afin de pouvoir la transmettre : tel est l’objectif de la codification des savoir-faire que l’on peut définir comme la création d’un système cohérent de codes ou de règles qui soit compréhensible de tous. Au cours du XVe siècle et durant l’essor des Académies, les experts de l’art ont ressenti ce besoin de formaliser et ordonner par écrit leurs pratiques professionnelles dans un but didactique et ont donc codifié leurs savoir-faire. Les historiens des techniques Hélène Vérin et Pascal Dubourg Glatigny parlent de réduction en art : « du latin ad artem redigere, rassembler des savoirs épars, fragmentaires et souvent non-écrits, les mettre en ordre méthodique à l’aide des mathématiques, de la rhétorique, de la figuration. Contribuer ainsi au bien public[1]. » Dans ce cas, la codification se traduit alors par la construction d’un énoncé technique à l’aide d’images, de schémas ou d’un vocabulaire spécifique afin de standardiser et démocratiser un savoir-faire dans le but d’asseoir la puissance d’un État et sa capacité à mettre en œuvre le bien public. Ainsi, ce mouvement humaniste a permis à de nombreux praticiens et ingénieurs de devenir académiciens et a participé à la libéralisation des activités mécaniques à tel point que certaines d’entre elles sont devenues de véritables disciplines ou « arts » comme les arts mécaniques, libéraux ou encore les arts du corps[2]. En somme, grâce à la codification des savoir-faire, la charpenterie de marine est devenue un véritable art démocratisé et valorisé par l’Etat.
Depuis ses origines, la charpenterie de marine est composée de savoir-faire empiriques : des règles non écrites, secrètes et transmises de génération en génération dans un cadre familial ou corporatiste afin de préserver un « patrimoine culturel et économique »[3] selon Éric Rieth, chercheur émérite au CNRS. La mémoire et l’habitude prédominent : les charpentiers ont chaque plan en tête et leur transmission se fait oralement et par une répétition minutieuse des gestes. La chaine opératoire est précise, partant du choix des morceaux de bois tors jusqu’à la mise à flots du bateau fraichement construit. Mais, la dimension empirique du savoir-faire traditionnel s’est graduellement dissipée sous la tutelle de la Marine française et de l’Académie royale des sciences. En effet, l’objectif de ces institutions étatiques était de standardiser la construction des bateaux français grâce à « une unification des méthodes basée sur des concepts scientifiques »[4] selon l’historienne des sciences Danielle Fauque. A partir du XVIIe siècle, les innovations techniques comme la puissance motrice furent omniprésentes afin d’asseoir la puissance de l’Etat. Des techniques de construction navale ainsi que des innovations techniques que nous retrouverons dans des traités et dans des manuels de construction écrits dans l’optique de standardisation et de démocratisation du savoir et du savoir-faire.
[1] Hélène Vérin, Pascal Dubourg Glatigny, Réduire en art : la technologie de la Renaissance aux Lumières, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2008.
[2] Ibid, p. 374.
[3] Eric Rieth, Navires et construction navale au Moyen-Age : archéologie nautique de la Baltique à la Méditerranée, Paris, Editions Picard, 2016, p. 254.
[4] Danielle Fauque, « Revue critique. De l’art de naviguer à la science nautique au Siècle des Lumières », Revue d’histoire des sciences, t. 63, n°1, 2010, p. 189-219.
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